Le Chant du moustique

Couverture d’ouvrage : Le Chant du moustique
Éditions :Numérique
ISBN : 9781911572749

Samuel est passeur. Dans un siècle où les hommes se sont retranchés dans des cubes et ne respirent qu’un air conditionné pendant que la Nature reprend ses droits à l’extérieur de ce monde aseptisé, Samuel est l’une des rares personnes à passer d’un univers à l’autre. Pourquoi le fait-il ? Pour l’argent ? Le frisson ? Pour respirer un peu d’air frais ?

Dans ce monde où les hommes ont choisi la sécurité de l’entre-soi, quel est le prix à payer pour marcher hors les murs ?

Parution :
Maison d’édition : Les Éditions de Londres
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Extrait :

« Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. »

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Samuel relit inlassablement la Genèse. Si l’on fait abstraction de sa signification spirituelle un peu surannée, c’est simplement beau. Poétique. Il caresse les lignes du bout des doigts. Ce livre est son bien le plus précieux. Une des dernières éditions papier à avoir bénéficié d’une large diffusion. Fin du 21e. La bible a longtemps été un best-seller, mais ce qui en fait sa richesse aux yeux de Samuel, ce n’est pas le texte qu’elle contient, ou l’objet en lui-même, mais tout ce qu’elle représente d’un point de vue symbolique : la connaissance et l’évolution de l’espèce humaine. Il préfère lire des livres normaux, plus pratiques, moins fragiles, mais il revient régulièrement à cet ouvrage de collection, qui lui rappelle d’où il vient. Quand il parcourt ce classique, il se sent dans son monde.

L’ambiance n’est pourtant à la lecture, dans ce bar à la mode du Nouveau Paris : de la musique vintage trop forte dans les enceintes, de petits groupes épars qui essaient de crier encore plus fort pour entretenir un semblant de conversation. Les gens se bousculent, et parfois, un adolescent saoul heurte la table de Samuel avant d’aller vomir dans les toilettes, juste à côté.

La serveuse lui apporte son cocktail :

— V’là ta conso, Samuel.
— Merci Shawna.

Elle minaude un instant avant de lui demander :

— Tu sais toujours où j’habite ? Tu passes quand tu veux, hein, pas besoin d’invitation…
— Je m’en souviens très bien, oui. Message reçu 5 sur 5.
— Enfin, moi je dis ça, y a pas de mal à se faire du bien, hein ?

Samuel met fin à la conversation d’un sourire, et Shawna court vers un autre client. Il va se replonger dans son livre, quand il aperçoit une magnifique négresse.

Nègre lui-même, il n’aime pas ce mot, même débarrassé de toute portée péjorative. Il ne comprend pas comment celui-ci a pu revenir dans l’usage courant, après des siècles d’avanies. Le temps ne l’a pas lavé des infamies de l’esclavage. Mais l’humanité a la mémoire courte, tout dans l’histoire semble l’indiquer.

La jeune femme joue de ses hanches, magnifiques et moulées dans une jupe fuseau blanche, pour traverser la salle. Elle est à quelques mètres de la table de Samuel, quand un homme un peu aviné – le lieu veut cela, en quelque sorte – l’aborde :

— Hééé, chérie, j’peux t’offrir un verre ?

Elle lui répond avec un sourire :

— Non, merci, c’est gentil.
— Oooh, allez, fais pas ta bêcheuse !

La jeune femme ne se départit pas de son calme et de son amabilité. Elle met une main sur l’épaule de l’homme. Samuel se tient prêt à intervenir.

— Je suis désolé, cela ne m’intéresse pas, et quelqu’un m’attend. Mais je suis sûre qu’une autre jeune femme serait ravie de répondre favorablement à votre invitation. Regardez autour de vous, ça ne manque pas.

Elle a dit cela en désignant un groupe de femmes assises près du bar. L’homme est déstabilisé par la confiance dont elle fait preuve et la gentillesse qu’elle lui oppose. Il ne trouve rien à répliquer et se décide finalement à rebrousser chemin.

Lorsqu’elle passe près de lui, Samuel lui déclare sans la regarder :

— Bien joué, avec ce type, à l’instant. Très diplomate.

La jeune femme s’arrête une seconde.

— Merci.

Elle s’apprête à poursuivre sa route quand elle avise la bible que Samuel tient devant lui. Elle demande :

— Qu’est-ce que c’est ?
— Ça ? Un livre ancien. Une des dernières éditions papier d’un livre religieux qui a été très populaire durant plusieurs siècles. Aujourd’hui, il est presque oublié. C’est dommage. Il parle d’amour et de tolérance ; ce qui n’a pas empêché qu’on tue en son nom, cela dit.

La jeune femme est impressionnée et intriguée. Elle s’assoit en face de lui en demandant :

— Je peux regarder ?
— Bien sûr.

Il retourne le livre et le glisse vers elle. Elle effleure sensuellement les pages et les tourne délicatement, une à une. Samuel est étonné : il a déjà montré son trésor, mais une fois l’objet en main, les gens ont souvent l’air d’une poule qui aurait trouvé un couteau, tentant par exemple d’appuyer sur les mots en espérant une interaction.

— Vous êtes historien ?

Il rit.

— Non, passeur.
— Passeur ?

Pour la première fois, il croit déceler dans la moue de la belle l’ombre d’un jugement négatif. Elle poursuit :

— Pourquoi avoir fait des études d’histoire pour être passeur ?
— Je n’ai pas fait d’études d’histoire. Pas vraiment. Je suis autodidacte. Tout ce que je sais, je l’ai appris dans les livres.
— On ne s’y prend jamais autrement. Vous vous sous-estimez. Et passeur est un métier risqué.
— Pas plus que ça. Regardez ce visage, regardez ces mains, regardez ces bras : pas l’ombre d’une blessure…

Il appuie cette remarque d’un sourire charmeur. Elle ne se démonte pas et continue ce drôle d’interrogatoire :

— Vous ne vous ennuyez pas ?
— Cela dépend des jours. De ma mission. Et au moins, je prends l’air. Le vrai.
— Et ça paie bien ?
— Je ne me plains pas. Vous questionnez toujours ainsi les inconnus qui vous adressent la parole ?
— Seulement ceux qui sont passeurs, qui se promènent avec un livre ancien, qui sont capables de le comprendre et de vous en raconter l’histoire avec un grand H.

Il pourrait être vexé ou énervé, mais il est sous le charme de sa franchise et de sa délicatesse. Il s’apprête à poursuivre la discussion quand une jeune femme fait irruption à la table :

— Tina, t’es arrivée ? On commençait à s’impatienter. Tu viens ?

La belle se lève. La conversation est visiblement terminée.

— Au revoir, Tina. Au plaisir.
— Au revoir…
— Samuel.
— Au revoir, Samuel. À bientôt.

Celui-ci attend que l’apparition se soit évaporée, range son livre dans sa poche et sort.

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Critiques : Tchoutch22 au sujet deAmazon.fr a écrit:

Très bonne nouvelle, pouvant se lire à différents niveaux, du fait des messages qu'elle porte sur l'environnement et les valeurs humaines, mais aussi pour le récit d'aventure et d'anticipation.